L’homme moderne face à la technique

* * * *

Jacques Ellul /Hannah Arendt 

" Si tout va  au néant, que la pensée humaine ne soit que la phosphorescence d'un instant dans une immense nuit, ce sera encore la pensée qui sera tout. Ces réalisations des techniques ne représenteront qu''un moyen de la gâcher. Et même déguisé en monde neuf, avec ses prestiges dérisoires, ce monde restera le vieux monde de la vieille haine, du sang et de l'orgueil. " (Henri Pourrat).

 

Depuis la crise sanitaire mondiale de la covid-19, les nouvelles technologies du numérique, se sont imposées à nous comme support incontournable au maintien d’une vie économique, et sociale « normale » – ou plutôt comme ersatz de celle-ci. Aussi n’ont-elles rendu que plus impératifs les arguments qui font de la technologie une fatalité, au nom même, et c’est un paradoxe, de la liberté humaine. 

 

Dans Le bluff technologique Jacques Ellul, bien avant l’explosion informatique, démonte cette position intenable. Qui voudrait d’un monde, se demande le philosophe, dans lequel la machine nous conduirait à vivre incessamment sur un mode rationnel, à s’adapter à ses performances, sans donner aucun sens à notre existence ?  Comment vivre dans ce nouveau milieu technicien qui s’impose à l’individu moderne sans prendre acte de ses conséquences ? Et comment prendre acte de ses conséquences si le bluff technologique lui-même persuade l’individu moderne que son propre salut dépend de sa faculté d’adaptation à ses nouvelles technologies ? L’individu, de chair et d’os, que nous sommes, offre-t-il une issue à ce cercle infernal qui caractérise l’homme moderne ? 

 

Pour répondre à ce dernier problème, une voie s’offre à nous, celle de la philosophe Hannah Arendt.

 

Hannah Arendt dans La condition de l’homme moderne s’interroge sur la possibilité de l’agir en commun, du politique donc, dans ce monde moderne où la technique prend de plus en plus de place et où le sujet est supprimé et dépersonnalisé. Elle s’applique, surtout et avant tout, à mettre en relief les bouleversements sociaux et économiques des XIXe et XXe siècles qui rendent le vivre ensemble moderne si problématique au regard de celui de l’Antiquité, lequel reste son terme de référence.

 

Ainsi malgré son souci manifeste du politique, la philosophe n’offre pas de happy-end à notre monde moderne à l’issue de son ouvrage, comme nombre de ses commentateurs le laissent entendre pour rendre son œuvre comestible et digérable à notre temps. Elle enjoint, plus modestement, celles et ceux qui ont à y vivre, à le penser en toute lucidité ce qui, dit-elle, est, peut-être, indifférent pour le monde moderne lui-même, mais qui n’est pas « sans intérêt pour l’avenir de l’homme ».

 

Les Pieds Nickelés contre Cognedur de René Pellos