Le concept d’amour chez Platon et ses métamorphoses dans les contes populaires de Carlo Collodi, et d’Henri Pourrat

 « La chose la plus haute dont soit capable le savant : il demeure celui qui exhume les ossements royaux »  Karl Reinhardt, Les mythes de Platon, Paris, Gallimard, 2007, p. 22

 

L’enjeu de l’atelier Philo-lectures de l’Entraide Philosophique cette année, est de faire dialoguer entre eux trois auteurs et trois textes de discipline, d’époque et de style très différents sur le thème de l’amour.  

Ce but résonne comme un véritable défi, celui d’établir un pont entre Le Banquet de Platon, texte fondateur de la philosophie antique classique, Les amours d’Henri Pourrat, contes populaires et ruraux extraits de son extraordinaire recueil Le Trésor des contes etPinocchio de Carlo Collodi, chef-d’œuvre italien du Risorgimento littéraire.

platon
Pinocchio
Henri pourrat BIS

 

 Le Banquet de Platon parle de l'érotisme transfiguré en ascétisme philosophique au cours d'une veillée tardive, où sont réunis de fervents admirateurs de Socrate venus célébrer le poète Agathon pour son succès littéraire. Mais il parle aussi de l’échec de la pulsion à amorcer sa lente ascension jusqu’au royaume de l’âme en l’absence de la figure référentielle du « maître » que la démagogie athénienne de l’ère sophistique refuse.

Les amours de Pourrat disent dans la tradition orale du génie populaire, selon sa belle-fille  et éditrice Claire Pourrat, « les métamorphoses de la jeunesse », « les princesses captives », les histoires d'amour des jolies filles des campagnes, « sombres et plaisantes » mais aussi les épousailles « combinées », « les amourettes mues en tristes noces », « les querelles et les démariages ». Elles sont invitation à redécouvrir, selon Alexandre Vialatte, « le pays des Contes et des Grandes Mœurs », avec l’idée, écrit Pourrat, que « la campagne, la maison, le chant pouvaient plus pour notre bonheur que les hommes d’État, les Bourses et les Finances du Travail, et le fracas de la Production ou de la Destruction ». Les amours pourratiennes nous convient à renouer également, « comme la littérature médiévale avait su le comprendre et le chanter, avec le « rosier sauvage » de nos lettres verdoyant dans la tradition orale du génie populaire d’avant les lettrés et la culture savante » » (Pierre Pupier, Henri Pourrat et la grande question, Paris, éditions du Sang de la terre, Paris, 1999, 223).

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CHASTELAINE

       Eros, vase classique début 470 - 460 av. JC  

Les amants médiévaux, enluminure tirée du Codex Manesse  (1310-1340)   

Pinocchio de Collodi narre, en une aventure tragi-comique trépidante, l'amour filial et parental confronté à l’apprentissage de l’impossibilité de vivre selon le principe de plaisir. Mais Pinocchio est aussi l’archétype même de l’enfant tout de vitalité, anarchie et naïveté et également « un idéal et même une utopie qui accorde à l’enfance et au peuple une place centrale » (Pierre Perrot, Le secret de Pinocchio, George Sand & Carlo Collodi, Éditions in Press, 2003, p. 11). Rien d’étonnant donc que nos pédopsychiatres d’aujourd’hui retrouvent en Pinocchio ces enfants hyperactifs et opposants ou encore l’anti-bébé imaginaire sur lequel vient se briser le miroir des rêves parentaux.

 

 Frontispice du journal de l’ami de Carlo Lorenzini (Collodi) Guido Biagi où est paru pour la première fois Pinocchio (1881-1883)

C’est bien du redoutable amour dont nous parlent ces auteurs, du redoutable amour qui d’un chemin l’autre présente des différences, des degrés, des ordres. Mais sous les traits d’une même pulsion sublimée, qu’elle soit bigarrée, déformée, outrageante ou exigeante, absolue ou relative, magnifique ou grotesque, elle offre un monde de l’amour à découvrir :  celui de l’antique mythe, de la sublime philosophie, et du conte populaire traditionnel et moderne en ses multiples métamorphoses.

Émergeant d’œuvres issues de périodes historico-politiques décisives (la fin de la démocratie athénienne ou les débuts de la révolution industrielle), en des lieux les plus divers (la Grèce du Ve siècle avant Jésus-Christ, l’Italie de la première révolution industrielle, où la France rurale des premières décennies du XXe siècle), l’amour est allé, depuis lors, son chemin, en tout lieu et en tout temps, par monts et par vaux ; rien jamais ne l’a arrêté. En présence de tant de vitalité, il n’y a guère à redouter qu’il nous laisse sans réponse quant au questionnement que nous inspire son énigmatique présence en des œuvres si différentes. Du moins, si nous ne redoutons pas de nous engager, selon la belle expression de Jean Perrot, « dans une fugue traversière ‟à la Pinocchio" » toute de farces et attrapes, de péripéties, et de rebondissements promis.

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 Catherine Labro.